
La danse classique khmère est un art qui se transmettait de génération en génération et, qui contrairement à d’autres danses notamment indiennes, n’a pas connu de retranscription à l’écrit.
La non-présence de support supposait une menace de disparition assez évidente. J’ai déjà abordé le fait que la danse a failli être totalement oubliée lorsque les Khmers rouges ont décimé la population artistique et intellectuelle du Cambodge. Cependant, grâce à l’étude et à l’observation de la sculpture, nous arrivons à en comprendre un peu plus sur la danse et sa pratique à travers les âges.
Il y a de nombreux bas-reliefs cambodgiens qui ont pour thème la danse, et les plus anciens datent du VIIe siècle. Les monuments épigraphiques retrouvés ont pu être traduits : il est souvent question de donations d’esclaves (pour en faire des courtisans, parce que pourquoi pas après tout), des danseuses qui possédaient un statut privilégié, un nom, des biens, etc. Cependant, bien que l’archéologie rentre en jeu dans l’étude de la danse, il ne reste aucune trace des rituels, des objets ou autres artefacts ayant servi aux danseurs et danseuses du Ballet royal. Les Asparas qui sont présentées sur les temples d’Angkor, n’esquissent pas toutes des mouvements de danse. On a, au contraire, retrouvé des statuettes qui pourraient s’apparenter à des danseurs, mais là encore, l’association peut être délicate et faussée, tout dépend de l’interprétation.
Les sculptures du XIIIe siècle, elles, font l’éloge de la danse puisque les bas-reliefs comportent des personnages qui s’animent dans une pose similaire ( l’envol, qui est probablement la même que celle utilisée par les danseuses du Ballet royal aujourd’hui). Mais comme l’a dit Vorasith : « La conservation de cet art originel est douteuse. Les aléas historiques et religieux le modelèrent d’autant plus facilement qu’il n’existe pas de canon écrit aux règles impératives ».
Or, comment corréler l’art et la danse ? Quels liens pour quelles significations ? Hormis les gestes, leur signification et leur symbolisme que nous avons fini par perdre au cours du temps, nous pouvons associer l’art à la danse grâce aux costumes. Ces derniers, sans doute perçus comme un simple détail aux yeux des spécialistes, représentent une clé de compréhension efficace pour analyser l’évolution des mouvements. L’étude des bas-reliefs montraient des danseuses ne portant qu’une jupe très libérée, avec quelques bijoux. Le reste de leur anatomie n’était pas caché (notamment la poitrine laissée à l’air libre). Nous avons là des personnages facilement associables à la divinité tentatrice, descendue du ciel pour séduire les érudits et les hommes (évidemment, pour changer, la femme ne sait que tenter les hommes et cela dans chaque culture !).

À travers les siècles, le costume incluait la soie brodée, une matière épaisse qui alourdissait considérablement le corps. Les mouvements devinrent moins dynamiques, et seuls les bras et les mains firent l’objet d’un soin perpétuel.
Les scènes mythologiques qui furent représentés sur la pierre, peuvent aussi avoir nourri le répertoire gestuel des danseurs classiques. Les thématiques sont tirées du Reamker (le Ramayama indien) qui sont largement représentées sur les frises d’Angkor Wat et connues par les sculpteurs depuis le Xe siècle ; « avant même sa figuration sur pierre, il avait imprégné la pensée et la sensibilité artistique de cette époque ». Les scènes qui ont été sculptées purent être reprises dans les éléments chorégraphiques : c’est le cas pour le combat entre Rama et Ravana, qui fait l’objet d’une chorégraphie assez dynamique et précise de nos jours.
La religion est un terme inhérent à l’art khmer en général (comme en France d’ailleurs, du moins pour une grande partie de notre histoire de l’art), et il est donc normal que la danse se soit nourrie de la sculpture et que cette dernière ait fait de même. Cependant, le mystère reste entier concernant la signification des différents gestes qui constituent le répertoire khmer ; en discutant avec des archéologues de Siem Reap et plusieurs conservateurs, le discours était quasiment semblable. Le verdict est que nous ne saurons probablement jamais la symbolique puisque nous en avons perdu les codes et qu’il est quasiment impossible de les traduire sur de la sculpture. J’ai tendance à assimiler ce problème à celui de la Préhistoire où nous ne savons rien mais où tous les fantasmes sont permis.
Or, le plus important, c’est que la danse khmère possède une reconnaissance internationale ; elle est désormais protégée de l’extinction. Mais pouvons-nous en dire autant de l’art khmer ? Mes visites dans les lieux patrimoniaux ont confirmé mes craintes ; il y a un mauvais entretien des sculptures, ces dernières se dégradent. Les raisons ? Peut-être les conditions de restauration peu exemplaires ou la masse de touristes importante qui polluent et affectent les sites. La reconnaissance de chaque art est dissociée mais a été progressive ; je trouvais ça fortement concluant de voir que les Khmers se ré-emparaient de leur patrimoine et oeuvraient à sa sauvegarde. N’oublions pas que l’empire khmer fut l’un des plus grands et puissants au monde.
