Mémoire, entretien et tasse de thé

Photo de Guy Capdeville, 1980. Nicky, sa compagne, devant le château de Saint-Orens-Pouy-Petit.

Les rencontres et les amitiés que l’on tisse sous prétexte de la thèse…

Vous le savez probablement, mes recherches tournent autour de l’appropriation patrimoniale. Je m’efforce avec plaisir d’interroger les personnes, en particulier les châtelains (ou les anciens châtelains qui ont passé le flambeau), au sujet des raisons les ayant poussés à acheter un château et à s’investir corps et âme dans la restauration d’un monument. La plupart du temps il s’agit d’une activité collective en famille ou en couple. Avec des moments où, parfois, l’on subit quand le château devient « toute la vie » de l’un au détriment de l’autre. 

Nicky et Guy sont les propriétaires du château de Saint-Orens-Pouy-Petit. Grande douceur, humanité et soif de voyage se dégagent de ce couple. Je les écoute, je bois leurs paroles. Je traverse les continents et les océans au fil des descriptions qu’ils me font du Brésil, du Mexique, du Venezuela, du Pérou, des États-Unis, de la Libye… Et je reviens à moi, dans leur château perché en hauteur, savourant les couleurs d’automne qui se répandent sur les champs alentour. Comment ne pas tomber en amour de cet endroit empli d’histoire et d’espoir ? La vue est à couper le souffle. Mes hôtes le sont encore plus. Je pourrais les interroger des heures durant, jusqu’à épuisement des piles de mon dictaphone, et encore, il faudrait me mettre à la porte pour que je rentre chez moi. Toutes ces minutes à les réécouter en vue de la transcription écrite ne me semblent pas un calvaire. Bien que cela soit toujours plus agréable d’être sur place, in situ, avec mon thé que j’oublie de boire et qui refroidit sur la table, trop occupée que je sois à ne pas perdre une miette de paroles qui, loin d’être profanes, se hissent à la sacralité. 

Alors je reconstitue, j’assemble, je trie, je dissèque. C’est difficile : chaque mot me semble nécessaire pour le puzzle. Finalement, c’est l’humain avant tout. Le plus important, ce sont leurs visages qui revivent leurs souvenirs, et moi, qui me sens petite face au travail abattu, aux combats gagnés et aux sacrifices consentis. Ces modèles vivants me poussent à faire mes preuves, à donner de ma personne face à la montagne à gravir qu’est la sauvegarde patrimoniale. 

Et, comme par magie, voix rauque de Guy ou délicatesse de Nicky en cause peut-être, je me sens à ma place parmi ces personnages colorés et solaires. Je vous souhaite de trouver des personnes aussi inspirantes. 

P.S. : Le blog de Guy : https://photos-non-retouchees.over-blog.com 

1 réflexion sur “Mémoire, entretien et tasse de thé”

  1. C’est émouvant de te lire avec cette sincérité, franchise et vérité qui te caractérise; nous sommes toujours enchanté de te recevoir dans cette partie privée du château de Saint Orens Pouy Petit et tu disposes de mes photos a ta guise.
    Au delà du plaisir de pouvoir te répondre sur « l’appropriation patrimoniale », nous revivons ensemble l’histoire de ces pierres et de nos vies dont tu fais naître une synthèse étonnante, passionnante.
    Cela se matérialise comme une clef de voute d’une oeuvre architecturale et existentielle bien réelle.
    Pour ce qui est de Saint Orens Pouy Petit, j’ai découvert ce village fortifié en 1965 j’avais dix sept ans. J’allais passer mon bac philo au lycée d’Agen et j’étais bien convaincu comme d’autres « penseurs » de cette époque que je ne collaborerais pas au futur de cette « société de consommation ».
    Le village fortifié sans eau ni électricité, encore au Moyen Age, m’a beaucoup plu, comme un refuge hors du temps. J’ai pu y acheter une maison en ruine et je suis devenu propriétaire, je me le suis approprié.
    Cette acquisition a été concrétisé par une acte chez le notaire. Au moment de signer le scribe m’a demandé si je voulais inscrire mon accompagnateur comme co propriétaire. J’ai approuvé sans hésité.
    Cette décision spontanée et gratuite a fait que le village a connu une nouvelle vie très animée durant mes années d’absence en Amérique du Sud; Christian peut en faire un historique précis pas moi.
    Ce n’est que quinze ans plus tard et grâce à lui avec Nicky que j’ai pu acheter pour une bouchée de pain la partie privée du château à l’abandon et en ruine; il était question pour la commune de le démolir.
    J’ai obtenu une « appropriation patrimoniale » sans connaître exactement le contenu patrimonial sinon de vagues références sur la Guerre de Cent Ans. Ce n’était pas non plu un retour, un besoin de racines.
    Depuis mes premières années d’errances adolescentes en France, quand j’allais encore parfois au lycée, j’avais appris à vivre au jour le jour, n’importe où, au gré des itinéraires et déplacements en auto stop, sans but précis sinon de faire la route, comme un « beatnik on the road ».
    Cela m’a donné des ailes. Je savais pertinament que peu importe où j’étais, j’aurais toujours de quoi à boire, manger, dormir et si l’endroit ne me plaisait pas je pouvais en repartir de suite.
    J’avais compris que la terre était mon domicile et comme Proudhon l’avait écrit  » la propriété est un vol ».
    Cependant il restait un domaine où j’étais déjà rentré par hasard, celui du patrimoine, avec la sacralité et l’espoir comme tu dis si bien.
    Ce sera pour un autre chapitre si tu veux…
    à suivre

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