Insomnie et évasion

La nuit dernière fut éreintante. Ne pas trouver le sommeil est pour moi un grand drame. Je me tortille dans mon lit en comptant les moutons, zieutant l’heure qui s’affiche sur mon téléphone portable, désespérée de voir les minutes s’écouler (je fais partie de ces personnes qui, se réveillant subitement dans la nuit, jubilent de joie à l’idée d’avoir encore quelques heures à roupiller). Mon cerveau refusant de se mettre en veille, je décide de sortir de mon lit afin d’achever ma lecture du moment : Ces héroïnes qui peuplent mes nuits de Mia Kankimäki. Cette dernière est une autrice finlandaise, découverte par hasard au détour d’une librairie. Son roman détaille la vie d’exploratrices en tout genre ; il éveille des envies de voyage et d’ailleurs, dépeint des paysages exotiques et menaçants à vous en couper le souffle. Ces femmes ont défié les conventions sociales parce qu’elles désiraient voir le monde. 

Je suis subjuguée par les aventures qui se succèdent. L’audace des exploratrices du XIXe siècle – aux noms auparavant inconnus – me laisse sans voix. Je me sens nostalgique, moi qui ai toujours eu la bougeotte. La thèse me pèse. Elle est la conséquence de ces insomnies qui deviennent de plus en plus récurrentes. Il paraît que c’est une étape normale, que les doctorants sont confrontés à ces états d’âme nocturnes. La tâche est rude, il reste tant à faire et je démarre tout juste dans l’écriture. Perturbée, angoissée, pessimiste. Où est donc passer ma tranquillité quotidienne ? 

Je me souviens du Maroc, mon premier voyage en solitaire. Pays cher à mon coeur et qui traverse en ce moment une crise terrible. J’aimerais pouvoir décrire oralement les montagnes de l’Atlas, les palmeraies vertes et accueillantes qui contrastent avec la sécheresse ambiante du grand sud marocain, les visages amicaux de mes nouveaux amis, le savoir que j’ai pu acquérir en me rendant sur des lieux immémoriaux. Je voulais rassurer mes proches et leur dire que leur peur pour moi fut futile et exagérée ; à quel point j’avais pris de l’assurance, grandi de mes expériences et révélé une nouvelle facette de ma personnalité. Celle de la jeune femme téméraire et courageuse que je peux être fasse à l’imprévu et à l’aventure (bien qu’il m’arrivais de pleurer comme un bébé la plupart du temps). Je désirais aussi avouer  que certaines nuits je voulais rentrer en France, qu’il arrivait qu’être seule me pesait malgré un entourage à l’écoute ; que la culpabilité m’assaillait quand je souhaitais retrouver ma famille alors que je vivais un rêve. Mon rêve. Et pourtant, tout était réel et délicieusement beau. La joie d’être dans ce pays, avec ses habitants, sur ses terres vieilles de millions d’années, n’a jamais été remplacée par la déception. Il y a eu des nuits où je voulais que le temps s’arrête, que le jour ne pointe pas son nez alors que j’observais des milliers d’étoiles briller dans un ciel dégagé. Mais je m’endormais paisiblement sur les terrasses des maisons, songeant déjà aux aventures qui m’attendaient le lendemain, bercée par la douce brise qui allait vite être remplacée par une chaleur cuisante.

Ainsi, avec le recul, je me rends compte que le doctorat est un voyage. Il en a la saveur. C’est un périple chaotique, solitaire, éreintant, parfois insupportable tant la destination nous paraît hors d’atteinte. Mais il y a aussi les belles rencontres, les découvertes inopinées, la joie d’avoir atteint une étape du parcours. Alors peut-être que dans quelques années, comme pour mes pérégrinations marocaines, je songerai à ce voyage avec bonheur, si satisfaite de mes nuits blanches et de l’opportunité incroyable qui m’a été offerte. 

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